
Texte : Lignes traçantes – Racines
J’ai commencé ce texte en suivant la ligne traçante d’une racine depuis le collet, fendant la motte, puis traversant les strates géologiques jusqu’à ce qu’il n’y ait plus terre, mais feu. S’il on suit la ligne, le trait fin du végétal, blanchâtre, filandreux, presque translucide, court entre les grains fins de la terre, le trait soudain s’arrête, se resserre, s’étire, vire, et freine comme un chemin, qu’on aurait mal cartographié. Quelquefois s’ensuit un revirement et la ligne s’estompe en autant de voies sans issue qui « filamentent« .
Se racine ce qui se bruite en silence dans l’antre souterraine de la terre, dans ce ventre dans lequel rien ne file droit, rien ne file court, tout est long et tortueux, là où siège l’obscurité, s’adapte et se multiplie, puis meurt, puis vit, se symbiose, se dé-colmate, se solidifie en statocytes et statolithes, amyloplastes sans gravité. En péricycle, la ligne des racines fabrique un faisceau depuis un radical, qui n’était pas sien au départ, puis l’est devenu, jusqu’à se nimber en radicelles. Le trait est parti un jour sombre d’automne, d’une cavité goûtant à la terre humide, du tronc ligneux d’un arbre dont on ne saurait prononcer le nom, l’hétérorhizie a fait merveille et radicelle en surplus.
De la cavité-ventre de l’arbre au sein duquel l’humus des saproxylophages a surgi, une ligne droite approximative a jailli telle le trait d’eau d’une rivière, dès lors asséchée, qui connaît enfin les pluies. La ligne se tapisse, tisse une toile ectomorphe, espacée, rhizomorphe, sans aspérité propre et dans ses coutures se forme un habitat détourné alternatif.
Le trait s’épaissit, se « tubérise« , stockant dans ses strates cellulaires l’inuline, l’eau, les sucres. Mais parfois, à l’embouchure, la radicelle se poursuit, fuyant l’adversité, se sachant courue d’avance et cherchant la liberté. Elle descend profondément, solitaire, vers la direction opposée des autres radicelles, formant un enchevêtrement enchâssé dans l’aube de la vie.
D’autres racines tracent et s’ancrent, entrent et ressortent, fondant les contreforts des arbres qui en dépendent. Les lignes se ramifient, s’arborent, se « sèvent« , dans le phloème qui suit la route dessinée par cette vascularité retrouvée.
Le trait de la racine, à l’origine du radicule, à l’origine la graine, suit les conditions favorables d’une ligne manuscrite, non héliotrope. La racine s’enfonce, n’adhère qu’à la nuit, échappe à toute luminescence, et à toute incandescence. Avant tout, elle guette la symbiose qui lui profiterait, susceptible de lui faire faire un détour, de courir d’autres strates, où les ressources biodisponibles agrègent les raisons de son trait dévié, déviant, oblique, courbe, dévoyé.
Subitement, la ligne racinaire s’est chargée en substances qu’on ne saurait citer sans balbutier. Son point culminant est au milieu de nulle part, là où aucun humain ne vit, ou rien ne germine, mais où respirent les Rhizophagus irregularis, excrétant, exsudant. Les racines ont cette conscience des Autres qui leur permettent de se jeter à lignes perdues vers la source de vie la plus proche.
Toutes les lignes de la racine se raccordent, convergent à l’apex, d’où naquit la division, chacune d’entre elles, comme une ouvrière dans une ruche, va et prêche pour sa survie, proliférant, foisonnant là où l’on ne l’attendait pas, là où on ne l’attendait plus.
Dans cette profusion de lignes, une myriade d’embranchements, de contournements, de bifurcations coalescentes. La raison pour laquelle suivre la ligne toute tracée n’est pas conseillé, mais déconseillé. La raison pour laquelle les racines se fixent, se « défixent », mais ne s’imposent jamais, habituées à être là sous nos yeux, sous nos pieds, sans qu’on les considère aussi bien que la ligne « inflorescente » des plantes commensales de la surface terrestre.
Tassanee Alleau, 13 mai 2025.
Lu au micro de Radio Béton et d’Axelle Glé d’Asso PoSo : émission Des Bouches tes Oreilles.
Trop chouette de lire ce texte en compagnie de l’Asso PoSo :

Inspiré de
Poème Graines :
Il était une fois la graine
L’accrescente tubulure de la plante jusque ciel
Les couches de peaux réunies en fascicules
Les sépales tournés vers le soleil,
les feuilles en denticules
Puis les baies charnues dans l’entrenoeud d’un plant de groseilles
La fleur, son calice fourni d’eau de la pluie des soirées tièdes
Et finalement la racine, dans les terrains vagues, les bords des routes, l’espace rudéral
Solide, ancrée, éternelle.
– Décembre, 2023
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